
Journal
Bienvenue en mon âme d’amoureuse du vivant.
De la création aux plantes
Ces dix dernières années, j’ai eu besoin de revenir à l’essentiel : la terre. En elle, je puise une énergie vitale et développe une lecture subtile et intuitive du monde. Mon apprentissage infini de l’univers des plantes s’affine avec le temps, et affine le regard que je porte au monde. Bonne lecture.
L’aube en Juillet
Cueillir c’est aussi rendre hommage.
Drôme provençale, 1200m d'altitude, l'aube en juillet. Enceinte de 7 mois, je marche 1h pour retrouver ce champ que j'aime profondément. Ici, s'épanouit en totale liberté une lavande fine au parfum de miel. Alors que la chaleur monte d'heures en heures, une serpette à la main, je cueille avec Émilie qui m'accompagne, ces fleurs d'une rare qualité.
Ici, le silence règne, la lavande y est reine. Durant 30 ans, une paysanne amoureuse de sa terre la cultivait, et elle en pris soin jusqu'à ses derniers jours. Sa présence est là, évanescente. C'est grâce à son travail et sa force que je peux emporter sur mes épaules les 15 kg qui seront ensuite distillés. Encore aujourd'hui, il me suffit d'ouvrir un flacon pour retrouver l'essence et la puissance de ce lieu magique.
Cueillir, c'est mesurer l'œuvre du temps. C'est aussi respecter celles et ceux qui ont préservé leurs terres, avec courage et humilité. Dans un flacon d'huile essentielle ou d'hydrolat, il y a parfois, bien plus que des molécules aromatiques et des propriétés. Il y a, autant s'en souvenir, une part de nous-même.
Respirer en création
Inspir, pause, expir.
La création m’évoque la respiration : inspir, pause, expir.
Mille sources d’inspiration nourrissent mes voies d’expression.
Où qu’elles aillent, chacune parcourt mes sens, en éveil.
Voir :
Mes yeux ouverts copient couleurs, lumières, histoires.
Fermés, ils retiennent l’essentiel, impriment ma mémoire.
Ces images gravées, je peux enfin les toucher.
Toucher :
Si j’explore la peau du sol pieds nus, marchant sous le ciel,
Mes mains elles, deviennent faucilles, pinceaux, ficelles.
Grâce à elles, je me déploie, je joue, j’ose goûter.
Goûter :
Gourmande, la cuisine est mon laboratoire d’expérimentation :
Un savant concert de saveur, de chimie, d’arôme et d’intuition.
Une science et un art de l’éphémère, une symphonie à écouter.
Écouter :
Un jour, une graine se logea dans mon oreille, secrètement.
Je crus perdre l’ouïe, elle qui compose l’espace et le temps.
L’écoute me relie à autrui, les sons aux sensations.
Sentir :
De grandes narines butinent l’air de ces roses, uniques.
Au lieu de pollen, je récolte leur empreinte olfactive, féérique.
Mystérieuses, ces fleurs m’invitent à continuer de collecter.
Chaque sens éveillé participe d’un patrimoine collectif qui,
De créations en créations, élargit et affine nos territoires partagés.
Alchemilla vulgaris
Comment faire connaissance avec une plante ?
Comment faire connaissance avec une plante ? Par la douceur de son hydrolat, grâce à une salade de printemps, dans le dessin d’une flore botanique, à la surface d’un savon artisanal ou mieux, devant soi. Je savais nommer celle rencontrée sur un versant montagneux à 1800 m l’été dernier, mais je ne savais rien de ce qu’elle est en vrai. Pied de lion, Manteau de Notre-Dame, Patte de lapin, Alchemilla vulgaris revêt cet autre surnom populaire : Porte-rosée.
Privilégiant l’humidité des ruisseaux et l’ombre des prairies au-dessus de 700 m, l’alchémille est une vivace à rhizomes épais, aux feuilles semi-circulaires, à la tige ferme. Plante couronnée du titre d’herbe magique, elle s’admire de préférence de près, accroupi et après l’aube. Là où se rejoignent ses nervures centrales organisées en étoile, en ce point d’intersection, surgit après chaque nuit, une goutte éclatante, mélange d’eau et de sève pour certains, exsudat pour d’autres.
Concentrée de vertus, cette unique perle transparente fut longtemps dit-on, l’alliée des alchimistes, qui la récoltaient en la recouvrant de draps blancs, pour servir leurs transmutations. Au lieu d’alchimistes, mon chemin ne croisait que celui des marmottes, mais de la nuit qui suivait, je pus extraire, l’essence de ce qu’elle est.
Bellis perennis
Elle caresse les prairies.
Elle caresse les prairies de ses capitules jaunes et blancs, et perd ses plumes pincées par des doigts maladroits. Elle n’a ni flamboyance ni prestige, car mademoiselle est petite et frêle et pourtant, elle égaie les jardins sans demander la moindre attention. Seul un terrain acide et un bain de lumière quotidien lui sont favorables. Un brin amère, un poil acidulée, elle enjolive les salades, fraîche ou saisie, et sert d’ingrédient principal d’une huile idéale pour raffermir le buste. Celui qui sait la cueillir entière et des heures durant, à force de dos courbé et de délicatesse, se redresse toujours, un peu plus humble. Bellis perennis est de cette famille de plantes, commune et discrète, qui traverse les âges en cillant, sans vaciller.
Lavandula latifolia
Aller sur geoportail.fr.
Choisir une région et l’affichage des cartes IGN qui indique reliefs et altitudes. Zoomer, dézoomer. Identifier des zones favorables à la présence de l’espèce recherchée, si l’on connait la nature des sols de la région illustrée. Et décider d’une destination de cueillette, sans garantie. En 2018, vivant face à la montagne d’Angèle en Drôme Provençale, je parcourais les marnes sèches pieds nus, panier à l’épaule et l’œil aux aguets. Une hélichryse là, un genêt scorpion ici, des tilleuls et leur ombre, des cormiers rares, des châtaigners aux ports mélancoliques, des rosiers, aubépines, orchidées, tous sauvages et épargnés par les troupeaux de printemps. Un jour, sous ce bois de pins, curieuse des lièvres fougueux, je vis cette lavande qui ne ressemble pas à la vraie, “femelle” et fine des versants de 900 à 1800 m d’altitude. Elle, était à feuilles larges, vert tendre comme le printemps. Un léger frottement entre le pouce, l’index et le majeur, pour absorber son odeur. Impossible de l’oublier depuis, les circuits neuronaux qui conduisent une senteur à se graver sur les parois de notre mémoire sont tenaces. J’en cueillis assez pour les mettre à macérer au soleil. Cette huile préparée est la plus douce de toutes celles que j’ai testé depuis. Hier, jour de lune noire, je partis pour la première fois en quête de Lavandula latifolia, rare car siégeant entre 600 et 900m, ni plus ni moins. 1h30 de route me conduis à un sentier. Une faucille à la main, le silence au-dessus des battements du cœur, le nez me guidait vers elle, les yeux cherchait à reconnaitre son habitat préféré. Au pied de ces aiguilles de pin, aux côtés des cistes, des romarins et des hélichryses, il y avait une chance de la trouver. Dans ces moments-là, rien d’autre que la visite de ce biotope n’existe. Entre chants d’oiseaux, araignées, châtoiement de couleurs, lumières, textures, formes, une symphonie suit son mouvement, discret. Avant de la voir, je sais. La voilà.